Joseph BOLLIN, le foyalais rescapé de l’enfer de Dachau qui a mis 30 ans pour mourir

Joseph BOLLIN en 1952 à Marseille

Joseph BOLLIN en 1952 à Marseille

le même homme, en 1968, avant son retour à la Martinique

le même homme, en 1968, avant son retour à la Martinique

Joseph Victor BOLLIN, né à Fort de France le 15 octobre 1916 est probablement avec Louis CHOUAIT, l’un des martiniquais victimes de la déportation durant la deuxième guerre mondiale le moins connu de ses compatriotes. Fils d’une demoiselle
Victoire BOLLIN, surnommée Raymonde, blanchisseuse, née au Lamentin en 1885, petit-fils de François BOLLIN, né au Lamentin en 1860, et arrière petit-fils de Angélina BOLLIN, esclave, née au Lamentin en 1839, il n’a pas 20 ans lorsqu’il s’enrôle comme marin du commerce dans une compagnie de transport maritime.Il est alors domicilié à Fort de France, rue du Parc. De faible constitution malgré une taille d’1 mètre 73, il souffre d’une déformation de la jambe droite, appelée genu varum qui motive son exemption lors du conseil de révision de la Martinique le 3 mars 1937.

L’année suivante il réside à Marseille, la grande ville portuaire, où son activité de marin navigateur l’a naturellement conduit.

Le 3 septembre 1939, la France est en guerre contre l’Allemagne et Victor BOLLIN, moins de deux mois plus tard, épouse à
Marseille une jeune fille de la citée phocéenne, Adrienne CANI, orpheline de père et de mère.

Le mois suivant, le 22 décembre 1939, la Commission de Réforme de Marseille classe Victor BOLLIN « Bon pour service armé » et l’incorpore aussitôt au Dépôt d’Infanterie Coloniale 169 de Perpignan comme Soldat de 2e classe. Mais de nouveaux problèmes de santé se déclarent et il fait l’objet d’une réforme définitive par la Commission de Perpignan dans sa séance du 8 mai 1940. Il est alors renvoyé dans ses foyers et se retire à Marseille. Rayé des contrôles de son corps, il peut reprendre une activité maritime civile sur L’Asie, un vieux paquebot de la Compagnie des Chargeurs Réunis en service depuis le 30 mai 1914… qui sera réquisitionné par la marine nationale pour des transports de troupes et dont les marins passent sous statut militaire.

En novembre 1942, après le sabordage de la flotte à Toulon, l’Asie est saisi avec son personnel navigant par les Italiens qui occupent toute la côte et l’arrière pays depuis Toulon jusqu’à Menton, cette dernière ville ayant même été purement et simplement annexée au royaume d’Italie. Puis l’Asie est rétrocédé aux Allemands le 13 mars 1943, à Marseille et à nouveau remis aux Italiens le 5 mai 1943 pour être conduit dans le port de Gênes où il est renommé Rossano.

 Photo du paquebot l'Asie (sur lequel il naviguait en 1943/1944)

Photo du paquebot l’Asie (sur lequel il naviguait en 1943/1944)

Victor BOLLIN, qui fait partie de l’équipage permanent du navire sur lequel il a sa cabine collective de couchage, doit vivre toutes ces péripéties, plus ou moins dramatiques, en pensant à sa femme laissée seule à Marseille dans des conditions de ressources plus que modeste.
Sur le paquebot amarré à un quai du grand port Ligure, il s’est lié d’amitié avec un marin natif de Paris et de six ans son cadet, Christian SANGAN. A présent, ce sont les Allemands qui ont repris le commandement du navire et qui, depuis le 9 septembre 1943, occupent toute l’Italie du centre et du nord. Le bâtiment a même été armé pour
servir en cas de nécessité comme navire de guerre. BOLLIN et le maître d’équipage
SANGAN voient tout cela d’un mauvais œil, car ils risquent à présent d’être la cible de l’aviation alliée qui fait régulièrement des raids au-dessus des ports italiens de Gênes et La Spezia, notamment.

Un jour, ils décident de s’emparer d’armes et de munitions qu’ils ont repérées sur leur navire et qui pourraient leur être utiles au cas où ils décideraient de faire défection.
Mal leur en a pris. Ils ont été surpris dans leur tentative le 29 avril 1944 et sont aussitôt arrêtés par la Gestapo et incarcérés. Un tribunal de guerre allemand siégeant à Gênes le 15 mai, les condamne à la peine de 20 ans de travaux forcés pour vol d’armes au préjudice de l’armée allemande. Ils sont immédiatement incarcérés à la prison Marassi de Gênes.(1)

Ironie du sort, cinq jours plus tôt, le 10 mai 1944, l’Asie est coulée lors d’un bombardement aérien allié. Renfloué après incendie, il chavire et sombre dans le port de Gênes.

Le 15 juin 1944, BOLLIN et SANGAN sont déportés à Munich (Allemagne) où ils sont emprisonnés jusqu’au 25 juillet 1944. Le 26 juillet, ils sont transférés dans le terrible camp de concentration de Dachau. BOLLIN y deviendra le matricule 141466 et c’est l’armée américaine qui sera son libérateur le 29 avril 1945.

Victor BOLLIN n’est plus que l’ombre de lui-même et pèse 35 kilos. Il est alors transporté à l’hôpital militaire français de Constance au bord du grand lac du même nom, sur l’île de Reichenau où il est soigné jusqu’à son rapatriement à Lyon le 27 juin 1945. Le lendemain il est démobilisé par la Sécurité militaire du centre de triage de Lyon et regagne ses foyers à Marseille. Sept mois plus tard, il parvient à se faire rapatrier à la Martinique et est identifié au Quartier de Fort de France comme inscrit maritime définitif.

Sa femme, très malade, meurt dans la cité phocéenne le 19 mars 1949. Il retourne alors à Marseille. Désormais, c’est un homme seul qui va se battre pour survivre.

Après le décret du 1er mars 1950 pris pour l’application du statut et des droits des déportés et internés politiques, Victor BOLLIN réclame le bénéfice de ce statut par lettre écrite au ministre des Anciens Combattants et victimes de guerre en date du 21 novembre 1953. Mais comme, malheureusement, il a perdu à Fort de France sa carte de rapatrié, sa demande est provisoirement écartée. Cinq ans plus tard, il va réitérer sa première demande qui sera une nouvelle fois mise de côté.

Enfin, en 1965, il présentera une demande du titre de déporté politique en bonne et due forme. Mais ce n’est que le 28 février 1968 que le titre et la carte de déporté lui seront attribués.

Victor BOLLIN habite toujours à Marseille, 5, rue des Enfants abandonnés. Il n’aura pas revu vivante sa mère qui est morte à Fort de France le 19 juin 1957.

Rentré définitivement à la Martinique en 1969, pensionné de guerre à 100%, il y décédera dans une grande précarité et une misère physiologique sans nom à l’âge de 58 ans et 11 mois, le 13 octobre 1975, à l’hôpital Clarac, avenue Pasteur.

Victor BOLLIN qui écrivait en 1958 au ministre des anciens combattants avoir été « condamné à passer sa vie dans un camp de la mort lente » et « être réduit à mourir de misère » mettra trente ans pour mourir des séquelles des souffrances endurées dans le camp de la mort que fut Dachau.

Martyr de la déportation, il est avec Ambroise BILAN et Jean NICOLAS l’un de ces trois Martiniquais rentrés des camps mais décédés des suites de leur déportation. Victime civile de la guerre, il a droit à la mention honorifique « mort pour la France » et aussi que, dans sa ville natale, son souvenir soit conservé par une place, une rue, un jardin public qui porterait son nom serait justice.

Lettre de l'ONAC du 5 novembre 2013

Lettre de l’ONAC du 5 novembre 2013

Et ce « La mémoire de Victor BOLLIN est à présent honorée par la mention « mort pour la France »suivant avis du directeur général de l’Office national des anciens combattants du 5 novembre 2013 ».

(1) L’officier allemand SS Friedrich ENGEL, surnommé le « bourreau de Gênes » qui fit massacrer 59 prisonniers détenus dans la prison Marassi, le 19 mai 1944,est mort paisiblement à l’âge de 97 ans, à Hambourg, au début du mois de février 2006, après avoir été condamné par contumace à la réclusion criminelle à perpétuité par un tribunal militaire de Turin (Italie) pour crimes de guerre.Victor Bollin qui devait échapper au massacre, n’eut pas la chance lui, de vivre aussi vieux.