Une figure martiniquaise de la résistance : Gérard Pierre-Rose

UNE ENIGME DE LA RESISTANCE: Fusillé à Barrême (Basses-Alpes) le 18 juillet 1944, Le Capitaine PIERRE-ROSE a-t-il été trahi? (1ère partie)
Par François CARTIGNY

Le capitaine Gérard PIERRE-ROSE, alias « Prince », alias « Manfred » dans la clandestinité est une des plus hautes et des plus pures figures martiniquaises de la Résistance. Si on sait qu’il fut fusillé, à la mitraillette, à Barrême (Basses-Alpes) le 18 juillet 1944, par les Allemands, on connaît moins les circonstances de sa capture et surtout les raisons qui ont pu pousser l’un des siens à l’abandonner sinon à le trahir. C’est un pan de ce voile d’un épisode douloureux de la Résistance bas-alpine que François Cartigny va essayer de soulever.

Gérard PIERRE-ROSE est né à Fort-de-France le 26 janvier 1913. Officier d’Infanterie coloniale, sorti sous-lieutenant de l’école de Saint-Maixant en 1935, il sert notamment en Afrique Occidentale française. Rapatrié au milieu de l’année 1942, le lieutenant PIERRE-ROSE est mis en congé du 22e R.I.C. après l’entrée de la Wehrmacht en « zone libre », le 11 novembre. L’année suivante, il rejoindra la Résistance en Dauphiné où le « colonel » Robert SOULAGE (né en 1913), dit « Sarrazac » a créé à la demande d’Henri FRENAY une école de formation des cadres du maquis.
Le 1er décembre 1943, Georges-Louis REBATTET (1907-1976) a succédé à Michel BRAULT, alias « Jérôme », du Mouvement Combat qui a été rappelé à Londres, dans la direction du Service National des Écoles de Cadres des Maquis-écoles. Il sera connu des maquis F.F.I. de la région Sud de la France sous le pseudonyme de « Cheval ». Ce dernier travaille en liaison avec le chef de la région R2 (Provence-Alpes du Sud-Côted’Azur), un officier d’infanterie coloniale, le capitaine Jacques LECUYER (1912-1999) alias « Sapin » dont SARRAZAC-SOULAGE est le délégué pour la zone concernée (Haute-Provence/Dauphiné), notamment pour désigner les chefs départementaux et locaux des MUR (Mouvements Unifiés de la Résistance). C’est lui qui a mis sur pied l’Organisation de Résistance de l’Armée (O.R.A.) dans la région et qui proposera de faire nommer, en février 1944, le capitaine F.F.I. Gérard PIERRE-ROSE, pour tout le secteur compris entre Digne et Saint André-des-Alpes et entre Digne et la basse vallée de l’Asse jusqu’à Oraison. La commune de Barrême se trouve au cœur de cette zone.

A partir du 6 juin 1944, la Résistance a reçu de Londres et d’Alger les instructions – codées, il va sans dire – d’entraver par tous moyens les mouvements de troupes de l’ennemi dont les divisions refluent en direction du front de Normandie. Les chefs des Forces Françaises de l’Intérieur des régions Sud sont chargés de « mobiliser » tous leurs hommes et d’engager des actions de harcèlement. Gérard PIERRE-ROSE, à la tête du maquis de Barrême, a qui le nom de « Fort-de-France » avait été donné en hommage à sa Martinique natale, doit pouvoir compter sur ses cadres pour le seconder, attendu qu’il doit lui-même se déplacer en permanence pour prendre ses ordres des chefs régionaux.

PIERRE-ROSE, alias Manfred, qui a 30 ans et qui est très sportif, a pour habitude de se déplacer à motocyclette qu’il conduit souvent à une allure plus que rapide. Sur les étroites et sinueuses routes de la montagne (Barrême est à plus de 800 m d’altitude), une imprudence de conduite peut avoir de lourdes conséquences. Nous verrons que ce mode de déplacement sera la cause d’événements qui auront une suite dramatique
La Résistance bas-alpine, nous l’avons dit, est donc à présent « sur la brèche ». De Londres ou d’Alger arrivent maintenant, de façon beaucoup moins parcimonieuse, des parachutages d’armes, de munitions et autres matériels dans des containers largués, de nuit, sur des terrains balisés par des feux de bois permettant aux avions de les localiser. Après les largages, il reste aux maquisards à retrouver ces containers et à les faire disparaître le plus rapidement possible. Mais Londres et Alger, n’envoient pas que des armes. Bien sûr, la Résistance a besoin d’armes, de beaucoup d’armes, mais elle a aussi besoin d’argent, de beaucoup d’argent. Il faut bien payer les chefs, les déplacements, les coûts de la presse clandestine et assurer l’intendance des groupes et des maquis de plus en plus nombreux. Alors dans certains containers, il y a des billets de banque, billets qui représentent de grosses sommes, pour ne pas dire « une petite fortune ».
Le problème, c’est qu’il pouvait arriver que des containers, bourrés de billets, ne soient pas retrouvés immédiatement ou soient perdus. Mais pas pour tout le monde. Dans son « Dictionnaire historique de la Résistance », l’universitaire et historien Jean-Marie GUILLON écrit : « Il ne se trouve pas un seul lieu de parachutage où ne traîne, aujourd’hui encore, l’histoire du container plein de billets et, comme il se doit, égaré. Jean GIONO la réutilise en 1960 dans son film Crésus (avec Fernandel dans le rôle principal) en se gardant bien de mettre en cause la Résistance avec laquelle il a eu maille à partir ; prudemment il attribue l’argent tombé du ciel aux nazis. Mais l’allusion ne trompe guère. Le roman laisse entendre que l’argent pleuvait sur la Résistance et que ses chefs se sont enrichis. Cette légende est portée par ceux qui n’ayant rien fait ou s’étant compromis, cherchent ainsi à salir une Résistance trop « pure » pour être tout à fait honnête et pour ramener les « héros » à la condition vénale ordinaire ».
Il y avait alors dans la région de Valensole, Mézel, Barrême et Castellane une « compétition » entre deux maquis distincts. Celui de PIERRE-ROSE, qui était apolitique et sous l’autorité des Forces Françaises de l’Intérieur (F.F.I.) et celui de Henri HUTINET, (né en 1920) alias Jean-Louis, dit aussi « Jean-Louis VORAY », qui était un maquis F.T.P.F. (Francs Tireurs-Partisans français) d’obédience communiste. En principe, les maquis communistes n’étaient pas « ravitaillés » par les parachutages. Malgré cela et parce que Manfred et Jean-Louis étaient tous deux des officiers d’active, il y avait entre eux une certaine solidarité pour participer ensemble à des embuscades sur la « route Napoléon », entre Castellane et Digne.
Le 5 juillet 1944, Henri HUTINET (lui aussi circulait à motocyclette) s’est trouvé avec sa moto en face d’un convoi allemand sur la route de Castellane que son maquis décima en quelques heures à Norante et également à Chaffaut, sur la route de Digne aux Mées. Lui, grimpa sur le talus qui bordait la chaussée et se défendit jusqu’à la mort. Les Allemands s’acharnèrent sur son corps qu’on retrouva horriblement mutilé. PIERRE-ROSE devait écrire, peu de temps avant sa propre mort, un très bel hommage sur le « capitaine Jean-Louis Voray » qui a été publié.
Issu d’un maquis « concurrent » situé en bordure de la Durance, était venu à « Fort-de-France » début 1944, un Russe de 37 ans, né à Moscou en 1907, arrivé en France en 1925 pour y suivre ses études d’électrochimie à Grenoble après les avoir débuté un an plus tôt à Liège. Il s’appelait Oxent MIESSEROFF prénommé en famille Aliocha et dont le « pseudo » était Matteï. Il s’est aussitôt parfaitement bien compris et entendu avec PIERRE-ROSE pour lequel il avait même de l’admiration. MIESSEROFF, nous le verrons plus loin, sera « le vengeur » de Gérard PIERRE-ROSE.

Début juillet, en raison des nombreuses missions et déplacements que devait effectuer PIERRE-ROSE, un « adjoint » lui fut désigné par le chef régional ; « adjoint » qui devait le remplacer lors de ses absences. Cet homme, Louis MARTIN, fut présenté comme étant « adjudant de gendarmerie », originaire du canton de Crest (Drôme), transfuge de la brigade de Valensole. MARTIN, né en 1913 comme PIERRE-ROSE, était un colosse de style « western » Il ne parut pas des plus sympathiques au groupe de Barrême habitué à l’élégance et à la gentillesse du capitaine « Manfred ». Mais MARTIN, de part ses fonctions, avait autorité sur le groupe et « Manfred » avait nécessairement dû l’informer des lieux de parachutage, des caches d’armes et d’argent. Le Comité départemental de la Libération des Basses-Alpes avait désigné comme trésorier Joseph FONTAINE, receveur de l’Enregistrement à Digne. Le 15 juillet 1944, c’est-à-dire le lendemain de la fête nationale qui avait vu défiler dans les rues de Barrême les deux groupes FFI et FTP de résistants en armes, sous les applaudissements de la population, fut décidé la répartition entre les mouvements des fonds dont disposait l’ORA (Organisation de Résistance de l’Armée) selon l’ordre du jour des principaux responsables de la Résistance réunis à Oraison, dans la basse vallée de l’Asse.

Gérard PIERRE-ROSE s’était rendu à cette réunion à motocyclette, comme à son habitude et c’est au retour de cette importante conférence qu’il eut son accident dans lequel il se cassa la cheville. Contraint à la plus grande immobilité, il dut s’aliter à Tartonne chez des amis où il fut en parfaite sûreté et soigné.

Le dimanche 16 juillet, toujours à Oraison, les chefs départementaux des MUR tombèrent dans un piège tendu par la Milice, appuyée par des agents de la Gestapo. Dix-huit d’entre eux furent arrêtés et aussitôt conduits à la prison de Marseille où ils furent atrocement torturés. Le 18 juillet onze ils étaient fusillés et jetés dans une fosse remplie de chaux vive à Signes, dans le Var.
Dès que Manfred apprend l’événement, le 17 juillet, il redescend, chaussé d’espadrilles vers la vallée de l’Asse pour rétablir les liaisons et les contacts avec les résistants qui ont pu échapper aux arrestations de la veille. Le soir même il est à Mézel où MARTIN doit venir le chercher pour le transporter. Il y restera en lieu sûr, compte tenu de son état, et au petit matin quittera ses hôtes, mais seul. Faisant suite au défilé par trop voyant du 14 juillet à Barrême, plus de 5 000 Allemands venus, notamment de Digne, ratissaient depuis les premières heures du jour toutes les vallées à la recherche des maquisards et de leurs chefs. « Manfred » était toujours à Mézel et MARTIN, attendu toute la nuit pour l’évacuer, n’était pas venu. PIERRE-ROSE s’était alors caché dans la ville, dans les latrines publiques. Mais les Allemands le découvrirent et le capturèrent avec d’autres résistants, dont le capitaine de réserve Victor ARNOUX (né en 1 889 à Barrême), et des otages civils, Madame PIN et son fils Max. Pour faire parler « Manfred » les soldats le frappaient avec leurs crosses sur sa cheville cassée. Mais il ne parla pas. ARNOUX, lui-même, fut brutalisé lors de son interrogatoire.
Les Allemands avaient enfermé leurs prisonniers dans une camionnette et en convoi de plusieurs voitures, camions et autres engins motorisés fortement escortés, ils prirent la route de Barrême, probablement dans l’intention de conduire leurs captifs à Nice ou à Marseille
Le long de la route, les maquisards commandés par MARTIN – mais ne voulait-il pas se donner bonne conscience ? – et par André VALENTINI, alias Hervé, né en 1921 à Tunis, avaient organisé plusieurs embuscades à partir des Clues de Chabrières. Un groupe de F.T.P. aussi s’était joint à eux. Au nombre des captifs, dans la camionnette bâchée, se trouvait un jeune résistant du maquis « Fort-de-France », René VALENTINI, 20 ans, né à Tunis le 17 février 1924, le propre frère d’André. Son nom de guerre était « Lapin ». Il raconte : « Quatre embuscades ont harcelé les troupes allemandes, endommageant au moins une automitrailleuse et atteignant plusieurs militaires ramenés vers les ambulances. Après chaque accrochage, les soldats qui avaient pris place dans la camionnette faisaient descendre deux personnes. Et elles ne revenaient pas. Au dernier accrochage, peu avant Barrême, Manfred et ARNOUX (j’ignorais alors leurs noms) ont été à leur tour fusillés. Avec le fils du boulanger (Max PIN) je crois, nous restions seuls dans la camionnette. »
(À suivre)

Note: Gérard Pierre-Rose – alias capitaine Manfred.

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